Garant du respect d’un cadre (obligations métier, règlement intérieur, hygiène, sécurité, respect des valeurs de l’entreprise) et du niveau de performance des personnes qu’il encadre, il incombe au manager la corvée ingrate de dire quand ‘ça ne va pas’. C’est-à-dire quand le cadre est transgressé ou la performance pas au rendez-vous.

Depuis vingt ans que je forme les managers à dire ces choses (oui, j’ai commencé jeune…), j’observe toujours autant d’assiduité dans l’application de cinq techniques qui ne fonctionnent pas. Je vous les livre ici, avec, en bonus, la seule qui marche.

 

1. Ne rien dire

Cette approche doit représenter plus de 70% de cas. Le manager trouve des raisons, parfois de bonnes raisons, pour ne rien dire. « Je ne vais pas en faire tout un plat » ; « Il est sensible, il va mal le prendre… » ; « Elle a des soucis perso, c’est pas le moment » ; « Je vais pas la braquer un vendredi soir » ; « J’ai ma part de responsabilité ».  Et mon chouchou : « Il est syndiqué… ». Dans la catégorie ‘ne rien dire’, on trouve aussi « Je vais pas lui dire à chaud », et son copain « Maintenant c’est passé, ça va faire réchauffé… ».

 « Ne rien dire, c’est approuver. »

Conséquence la plus évidente : si la personne ne sait vraiment pas que son travail ou son comportement ne vous conviennent pas, elle ne risque pas de les modifier. Conséquences plus insidieuses : qui ne dit mot consent. Pour les collègues (ou les clients) qui subissent les conséquences du comportement ou des erreurs, vous, manager, approuvez.

Si les collègues du collaborateur doivent assumer le nettoyage de la machine en fin de journée, votre silence vis-à-vis de cette situation vaut approbation. Alors dans une optique de faire progresser, d’assurer l’équité de traitement, de faire régner le respect et la solidarité, et enfin pour votre crédibilité, vous devez dire les choses.

 

 2. L’interrogatoire

L’interrogatoire, que j’appelle aussi la technique des devinettes, consiste à aborder le collaborateur avec une série de questions auxquelles il détient la réponse mais devant lesquelles il peut choisir de faire le niais. « Qu’est-ce que t’as pensé de la réunion de hier ? » ; « Tu sais à quelle heure t’es arrivé ? » ; « Tu penses que le Directeur l’a pas remarqué ?’ » ; « Et moi, tu crois que je me disais quoi en t’attendant ? » ; « Tu ne pouvais pas appeler ? » ; « Et pourquoi tu le recharges pas la nuit, ton portable, comme tout le monde ? ».

 « N’essayez pas de faire dire à l’autre ce que vous n’osez pas lui dire. »

 Cette technique, hautement manipulatoire, vise à faire dire à l’autre ce qu’on n’ose pas lui dire. Au lieu de lui dire « Je me suis senti vachement gêné quand t’es arrivé au milieu de la réunion avec le Directeur », l’adepte des devinettes justifie souvent ce stratagème par une intention pseudo-pédagogique : ‘Il doit trouver lui-même son erreur… ‘. Vous savez quoi ? Il a très certainement remarqué votre gêne à ce moment. Et s’il ne l’avait pas remarquée, ce dialogue sera rudement plus rapide si vous lui dites les choses. Et pour peu que vous ayez affaire à une personne de moyennement bonne foi, cela risque de durer, avec des « Ben non, pourquoi, il était quelle heure… ?? » qui vont tellement vous agacer que vous avez assez peu de chances de conduire un entretien rapide, efficace et propice à une relation détendue. A bannir donc.

 

3. Les reproches

Celui-ci est violent et pourtant quand on interroge les personnes qui l’utilisent, c’est rarement dans l’intention de faire mal. Ils vous répondent : « Ben, faut bien dire les choses… ». Ou alors : « Je veux lui faire prendre de conscience de… ».

« Les adultes détestent qu’on leur fasse prendre conscience d’un truc. »

Seulement, les adultes détestent qu’on leur fasse prendre conscience d’un truc.  Dans cette catégorie, on trouve toutes les variantes du TU : « Qu’est-ce que t’es bordélique ! » ; « Je suis désolé, t’es irresponsable. » Quelque fois un petit « Je trouve’ s’insinue pour adoucir le ‘tu », mais qui ne trompe personne. « Je te trouve vachement émotif… » Dont le potentiel vexatoire peut être démultiplié en le précédent par un petit « Le prends pas mal, mais… ».

« L’accusation déclenche immanquablement la défense. »

Toute accusation déclenche immanquablement un comportement défensif en face. Qui peut prendre la forme d’un déni complet : « Ben non… », ou plus dur : « N’importe quoi », voire la contre-attaque : « Et toi/l’autre/ tu l’as/t’es vu… ? ». Ce à quoi le manager répond « C’est pas la question » ou se défend à son tour « Non mais moi/lui c’est pas pareil » et on entre dans la spirale « Et ben si », « Et ben non… ». C’est le théâtre de guignol de mon enfance (j’adorais), mais ce n’est pas du management.

 

4. Les évidences

Énumérer les choses que l’autre sait déjà, généralement sous couvert de ‘redonner le contexte’, ça donne : « Ça fait trois fois que tu… (arrives en retard, oublie ton reporting, me dis que tu vas faire tes relances… ». Ou une autre façon de planter le décor que j’appelle ‘’ l’histoire depuis Adam et Eve…’. Ça donne : « On en avait parlé en 1956… puis suite aux évènements de 1968 il avait été convenu… mais après la chute du Mur de Berlin tu t’étais engagé à … et depuis le taux de non-conformités a atteint 2 pour mille… c’est pour ça qu’on avait organisé la réunion… tu avais participé au Doodle… tu devais présenter la diapo sur le dispositif de télétravail en cas de pandémie… ».

« Dire à l’autre ce qu’il sait déjà, c’est l’inviter à ressortir aussi ses anciens arguments. »

Là, l’autre, s’il ne s’est pas endormi, est dans le meilleur cas en train de penser à ce qu’il va faire à manger ce soir (« Des œufs à la neige ou de la compote à la rhubarbe ? »), mais le plus souvent a déjà appelé son avocat et préparé sa défense. Et pour peu que vous ayez déjà abordé le sujet, et que la plaidoirie ait été victorieuse, ne vous étonnez pas d’entendre, à nouveau, ses propres arguments. « C’était pas en 1968 mais été 69… la diapo je devais seulement la préparer, pas la présenter… » Et là, j’espère que vous avez du temps devant vous…

 

5. La leçon de morale

Les managers ont parfois retenu des formations de management qu’il pouvait être utile d’énumérer les conséquences du comportement ou de l’erreur à redresser. Certes, mais sans infantiliser et à condition de penser sincèrement que l’autre n’a pas connaissance de ces conséquences. Dire « C’est respectueux ni pour moi ni pour tes collègues qui ont fait l’effort d’arriver à l’heure… », ou « Laisser s’empiler des tasses de café sales, si chacun faisait comme toi on n’aurait jamais de tasses et puis ça attire les cafards… » va rapidement agacer un adulte.   

« Énumérer des conséquences que l’autre connaît va l’agacer. »

Car même lorsque les conséquences méritent qu’on s’arrête dessus, la technique ne fonctionne pas : « Même une goutte d’huile au sol, ça paraît pas grand-chose et pourtant quelqu’un peut glisser et se casser la clavicule… » peut entraîner au mieux un regard au plafond, voire un « Ouais, si tu l’avais vu, t’avais qu’à nettoyer… ».

 

6. La seule technique qui fonctionne

La seule approche rapide, efficace, propice à augmenter la bonne volonté du collaborateur et à renforcer votre relation consiste à l’aborder avec un discours clair, direct, précis, réfléchi, respectueux et orienté vers l’avenir. Voyons quelques exemples.

« Yves, j’ai remarqué en arrivant ce matin que XXX n’avait pas été fait hier. Cela peut paraître anodin, mais sans XXX, on prend le risque de …  (Description très succincte des conséquences.) J’ai besoin que tu me rassures qu’à l’avenir tu seras attentif à effectuer cette action systématiquement en fin de mission. »

 « Patricia, je viens de voir une traînée d’huile sous ta ligne. Je sais que tu connais les risques, je te fais pas un dessin ! J’ai besoin que tu organises de suite son nettoyage, et surtout qu’à l’avenir tu sois super vigilante et alertes la maintenance au premier signe de fuite. Comment ça te semble ? »

 « Ça marche aussi pour un collaborateur en difficulté. »

 Cette approche est indiquée aussi pour aider le collaborateur à lever une difficulté.

« Karim, je vois que l’écriture de la procédure XXX qui fait partie de tes objectifs n’a pas avancée depuis la première réunion de concertation il y trois mois. Ça m’inquiète : tu ne pourras pas tout faire en fin d’année. Je voudrais qu’on se pose aujourd’hui pour regarder ce qui te bloque et surtout élaborer un plan d’action pour te permettre de terminer cette procédure avant le 30 juillet. Qu’en penses-tu? »

Et vous, comment faites-vous pour dire « Ça ne me convient pas » ?

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