Début juin, message WhatsApp d’une amie proche (cadre, archi-diplômée…): « EN TOUTE ILLÉGALITÉ le gouvernement fait installer l’application COVID-19 depuis hier soir… avant même le vote au parlement et la publication des décrets au Journal Officiel (…) C’est un très grave abus de pouvoir, il faudra tenter de faire condamner le gouvernement par la Justice administrative…». Message Mara : « Quelle est la source précise de l’info ? » Retour : « un ami, qui a assurément vérifié la véracité de l’info… »

WhatsApp, comme Zoom ou Amazon, fait partie des très grands gagnants des confinements à travers le monde.

Fin mars, lorsque je sondais mes clients sur leur adaptation au télétravail (voir l’article sur le sujet) , son trafic avait augmenté de 75% rien qu’en Espagne. Chez mes clients, ‘Garder le contact’ est cité comme condition décisive de réussite de l’éclatement provisoire des équipes. Le moyen: WhatsApp. Chaque équipe ou service avait créé son groupe, pour partager infos, humeurs, billets humoristiques… . Les managers deviennent les douaniers informels de la frontière entre légèreté et hors sujet.

L’utilisation de WhatsApp au travail, qui ne date pas du Covid, semble répondre à trois utilités principales. D’abord, partager des informations opérationnelles entre collègues ou avec des clients ou fournisseurs, par ex dans le cadre d’un projet ou du suivi d’un chantier. Ensuite, pour se motiver, s’encourager mutuellement et fédérer l’équipe (« J’ai eu l’affaire !» ; « Bravo ! » – fonction qui a vraiment décollé pendant le confinement). Et enfin pour faire de la veille (« Qui a testé cette plateforme ? »). Un même groupe peut regrouper plusieurs fonctions, déterminées en partie par la capacité du manager à poser le cadre, faire vivre le groupe, donner l’exemple, façonner les codes et les rappeler délicatement en cas d’écarts.

Alors, où est le problème ?

Un podcast du Guardian [i] examine les facteurs qui ont favorisé la migration de l’infox (‘fake news’) depuis Facebook et Twitter vers WhatsApp. En période de grande incertitude, les citoyens désirent de l’information fiable et actuelle. Or, ils commencent à savoir que Facebook favorise les rumeurs. WhatsApp offre la sécurité d’un réseau intime et les messages sont cryptés. A défaut de connaître personnellement les 256 membres maximum (ou 8 en moyenne [ii]) d’un groupe WhatsApp, nous leur accordons à priori notre confiance parce qu’ils sont, comme nous, parents d’élèves du Lycée Français de Vienne, ou commerciaux de notre enseigne de biscottes, ou formateurs du CJD. Nous en déduisons inconsciemment qu’ils partagent nos intérêts et veulent notre bien (deux implications non fondées et non liées.)

Aussi, nous accordons à priori un niveau de confiance à une information partagée par un membre du groupe que nous n’accorderions pas d’emblée à une information partagée par un ‘ami’ sur Facebook.

(Bon j’écris ‘nous’ mais ne possédant de compte Facebook, j’extrapole à partir de ce que je lis et entends de mes confrères humains moins hantés par l’influence de Zuckerberg sur la démocratie et la stabilité mondiale. Bref.)

Avec pour conséquence que les rumeurs ou les informations erronées, qu’elles aient été partagées avec malveillance ou bien intentionnées, circulent avec un impact décuplé par la confiance accordée, et ce malgré la limite posée par l’outil sur le nombre de partages. (Une info diffusée 256 personnes à 256 personnes sera reçue 65,536 fois.) Ainsi, ces groupes constitués dans la tourmente de la pandémie, pour se réunir, se rassurer, s’informer, ont été des boîtes de Pétri de désinformation.

Un autre article du Guardian [iii] (oui, c’est une de mes sources de confiance sur le côté obscure des réseaux sociaux…) pousse plus loin l’analyse des mécanismes de comportement nuisibles sur Whatsapp. Au sein d’un groupe soudé, les individus livrent plus facilement leurs pensées, libérés du jugement de la communauté publique (c’est-à-dire Facebook) et de la quête de glamour (Instagram). Dans l’intimité d’un groupe Whatsapp, quelqu’un va se plaindre d’une institution, d’une personne ou de son employeur. Un autre membre exprimera sa sympathie ou son accord, et ce sans qu’il partage forcément l’avis du premier, mais parce que l’appartenance au groupe invite à une certaine solidarité. Il suffit qu’une troisième personne écrive quelque chose en soutien à ce point de vue, et bingo !

la position exprimée devient une composante de la culture du groupe et ainsi une croyance commune.

Par défaut, ce point de vue devient celui du groupe. Par les mêmes mécanismes décrits par les psychologues sociaux de l’après-guerre pour expliquer la passivité des citoyens des régimes totalitaires, chaque membre adoptera insidieusement ce point de vue, ou alors se trouvera des raisons pour ne pas le questionner en public. Comme dans les groupes physiques, le besoin d’appartenance au sein des groupes virtuels se révèle souvent bien plus puissant que l’impulsion de dissidence.

Est-ce grave ? Oui si on considère que chaque jour des décisions nuisibles se prennent sur la base de fausses informations ou d’alertes disséminées par Whatsapp. C’est pourquoi je considère qu’il relève de la responsabilité de l’entreprise de veiller à ne pas permettre la circulation d’un ‘scoop’ que le gouvernement aurait autorisé l’euthanasie des personnes âgées atteintes du Covid ou piraté nos smartphones pour installer une application à l’insu des citoyens. Des vidéos supposées alerter de projets nébuleux des entreprises pharmaceutiques ou de l’OMS génèrent la peur, alimentent le cynisme et peuvent conduire au rejet indiscriminé de toute information provenant de sources officielles, impactant par exemple les campagnes de santé publique.

Pour le manager, dirigeant ou responsable RH, comment utiliser des groupes pour créer du lien et déjouer les épidémies… de fausses informations ? Je recommanderais trois choses.

D’abord, sensibiliser. Si le groupe est initié par l’entreprise,

il doit être animé par un modérateur qui connaît les mécanismes d’infiltration des infox et sait les reconnaître.

Cette personne doit définir la finalité du groupe, et rappeler cette finalité avec bienveillance si besoin. Elle peut poser des règles de diffusion par ex : « On ne diffuse qu’une information dont on connaît la source, en citant la source. » Ensuite, former à l’évaluation de la véracité de l’information. Certains signes sont très faciles à repérer. On peut mettre à disposition des sites fact-check faciles à solliciter. Enfin, savoir rappeler à l’ordre (avec fermeté mais bienveillance, vous nous connaissez… le cas échéant vous avez la recette ici (voir l’article) qui persisterait à diffuser des infos ‘hors cadre’.

Si vous êtes manager, RH, dirigeant ou salarié, j’aimerais beaucoup connaître vos expériences de dérives de groupes Whatsapp ou autres. Comment avez-vous réagi ? Avez-vous installé une déontologie, un cadre ? Avez-vous tenté de sensibiliser ou former vos salariés ?

Quelques sites de vérification d’informations (fact-check) :

Hoaxbuster : https://hoaxbuster.com/ (plateforme collaborative pour lutter contre les canulars et autres formes de désinformation.)

L’AFP : https://factuel.afp.com/

Le Monde : https://www.lemonde.fr/blog/decodeurs/ (fact-check collaboratif)

https://www.lemonde.fr/verification/ (outils pour s’initier soi-même au fact-checking)

Libé : https://www.liberation.fr/checknews,100893 (Enquêtes réalisées en réponse à des questions d’internautes.)

[i] ‘Coronavirus: why are your parents sending you so much fake news?’ Podcast du Guardia, 25 mars 2020

https://www.theguardian.com/news/audio/2020/mar/25/going-viral-fake-news-and-covid-19

[ii] 65 WhatsApp Statistics and Facts Juillet 2020

https://expandedramblings.com/index.php/whatsapp-statistics/

[iii] ‘What’s wrong with WhatsApp’ 2 juillet 2020

https://www.theguardian.com/technology/2020/jul/02/whatsapp-groups-conspiracy-theories-disinformation-democracy

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